J’ai toujours trouvé cette question épineuse : comment rompre une amitié ? Il n'y a pas de bonne réponse, pas de manuel ou de guide de survie. C’est pourquoi, je suis une ghosteuse amicale en puissance : je préfère laisser le lien s'étioler plutôt que de faire du mal. J'ai le coeur trop tendre.
Une odeur de café, chaude et mordante, plane dans les airs. Un rayon de soleil se pose sur ma joue droite.
Je suis chez une de mes amies, Flavie, qui m’explique qu’elle s’est disputée avec une de ses potes et qu’il n’y aura pas de réconciliation future. L’ultime message de Diane envoyée à Flavie par SMS est le suivant : “Je pense que nous avons besoin d’un peu de temps. Quand tu te sens prête, n’hésite pas à revenir vers moi”.
Pourtant, Flavie sait qu’elle ne souhaite rompre le contact avec Diane. Elle me pose alors la question suivante : “Comment faire pour lui dire sans générer une dispute de l’espace ?”.
En amour, les choses ont toujours été très claires. Les phrases de rupture sont difficiles à prononcer certes, elles écorchent la gorge de celui ou celle qui les formule et elles brisent le coeur de celui ou celle qui se les prend en pleine face. Quand bien même, les ruptures amoureuses font mal, elles sont si codifiées qu’il est facile de couper les ponts, de dire ciao, de partir sans jamais se retourner.
Voici un combo de ce que j’ai reçu / prononcé au cours des 34 années de ma vie :
“Je ne t’aime plus.”
“C’est fini.”
“Je crois que ça ne marche plus.”
“Faut qu’on arrête”.
“Je ne suis plus très sûre.”
“Est-ce que ça vaut encore la peine ?”
Et j’en passe.
En revanche, je n’ai pas toujours réussi à rompre proprement une amitié.
J'ai eu une adolescence très solitaire. Je n'avais pas beaucoup d'amis.
À la vingtaine, j'ai commencé à sortir de ma coquille et à rencontrer beaucoup de gens. Je me suis rendue compte de mon potentiel amical. Après avoir été seule pendant des années, voilà que je me nouais soudain des amitiés très facilement et en grand nombre. Le problème c'est que j'ai tant d’empathie, que certaines personnes s’agrippaient à moi pour de mauvaises raisons.
Dotée d'une grande capacité d’écoute, je sais que je suis une psychologue idéale. Le revers de cette médaille ? Certains “amis” se servaient simplement de moi pour s’épancher et j’ai mis du temps à le comprendre. En effet, mon adolescence solitaire m’a fragilisée et j’ai toujours du mal à rompre des amitiés à faire du mal aux autres, mais aussi à accepter le conflit.
À mes yeux, conflit = désamour, rupture = culpabilité.
Bon nombre de mes amitiés se sont délitées naturellement. Avec le temps, la distance.
Parfois, des coups de téléphone sporadiques ne suffisent plus à distiller des pans de vie entière, à rattraper les wagons de l’existence, qui se sont arrêtés à une gare si lointaine qu’il devient difficile de suivre. Alors, la relation se meurt, tout simplement, sans heurts, sans drames, le lien s’estompe. Il n’y a pas de cassure nette, pas de tragédie, ou alors un drame unilatéral, comme lorsque ma meilleure amie d’adolescence s’est éloignée de moi après avoir rencontré son chéri (classic shit).
Il y a bien une amitié que je chérissais qui s’est terminée dans la douleur. J’étais proche d’Elsa depuis des années. J’adorais Elsa, les moments que je passais à ses côtés étaient magiques. Nous vivions à distance, moi à Aix-en-Provence et Elsa à Lyon, et ma joie était toujours immense à l’idée d’aller la retrouver dans la ville des canuts. Elsa s’ennuyait à Lyon et, un jour, elle a décidé d’aller vivre en Italie. Mais cette distance n’entravait pas notre relation, au contraire, nous nous appelions régulièrement. Et puis, Elsa a commencé à agir étrangement. Chaque fois que l’on s’appelait, elle monopolisait la conversation pendant une demi-heure, et je l’écoutais patiemment, redoublant d’attention à chaque rebondissement qui suivait son histoire, lui offrant mes meilleurs conseils. Et puis, inéluctablement, Elsa clôturait la conversation avec le même schéma : “Et sinon, toi ça va ?” “Oui, je suis contente parce que bla bla.” “Ah… cool. Bon écoute, je dois te laisser, j’arrive devant chez moi”. Et je restais là, déconfite, mon téléphone à la main, à m’interroger sur la relation entre “le fait d’arriver devant chez soi" et le fait de ne pas pouvoir papoter avec une amie.
Elsa m’a fait ce même coup cinq ou six fois d’affilée. Et petit à petit, j’ai remarqué qu’Elsa me racontait toujours des histoires plus ou moins similaires à base de “J’ai chopé un mec, mais il a une meuf donc je ne sais pas quoi faire”. Une fois, ok. Deux fois, avec un autre type, ok. Trois fois avec un autre autre type, ok. Quatre fois : soupir intérieur de ma part. Cinquième fois, lassitude absolue. Sixième fois : émoji qui vomit.
Un jour, Elsa tente de me joindre. Je suis très stressée parce que je passe un concours important le lendemain, et je décide de ne pas répondre et de la rappeler quelques jours plus tard. Cependant, Elsa insiste. Une légère inquiétude commence à poindre en moi, je me dis qu’elle a peut-être un problème. Je pianote sur mon téléphone pour m’enquérir de son état et Elsa me répond “Oui, c’est urgent, est-ce qu’on peut parler s’il te plaît ?”. Je décide de l’appeler et… Elsa m’explique qu’il lui est arrivé une histoire de dingue !!! Et qu’elle ne sait pas quoi faire. En effet, elle a rencontré un type la veille, mais il est marié et a deux enfants, cependant, elle ne peut s’empêcher de penser à lui et ignore de quelle manière elle peut amorcer les choses. Je tombe des nues. Est-ce que la chope d’un énième type constitue vraiment une urgence pour Elsa ? La colère commence à grimper en moi, et elle brûle. D’abord au niveau de la poitrine, puis du cou, et je raccroche, le visage rougi, furieuse : Elsa n’a même pas pensé à me souhaiter bonne chance pour mon concours, alors même que je lui ai rappelé en début d’appel. Elle s’en cogne, elle est trop égoïste pour avoir la présence d’esprit de le faire.
Pendant quelques minutes, je n’arrive pas à contenir la fureur qui me submerge comme des vagues un jour de tempête. Et puis, je défonce le barrage de la politesse, celui qui me retenait jusqu’alors, qui me permettrait de conserver les mots coffrés, tout au fond de moi, les émotions que j’enfouissais par politesse ou par bienséance. Je pianote sur mon téléphone pour envoyer un message à Elsa, plutôt diplomate, en lui expliquant qu’il ne s’agissait pas d’une urgence et que je lui avais demandé de m’appeler uniquement en cas d’urgence et que je passe mon concours le lendemain et que je n’ai même pas eu droit à un mot de sa part.
Elsa répond du tac au tac et signe la fin de notre amitié avec un message ignoble dans lequel elle me reproche mes quatre vérités. Un message qu’il m’est douloureux de recevoir, comme une balle de basket dans la tronche, ce moment où le missile fait aussi mal qu’une série de coups de poing sur le nez.
“Tu n’es qu’une égoïste, insupportable…” etc.
Je n’ai plus jamais parlé à Elsa, la rupture était consommée.
Dans la même veine, j’ai été amie avec Alexia pendant quelques mois. Au bout d’un moment, Alexia s’est mise à radoter à propos de la relation qu’elle entretenait avec deux types différents. Alexia était incapable de choisir : l’un lui apportait ce que l’autre ne possédait pas et vice versa. Je ne blâme pas Alexia pour les infidélités, Alexia fait ce qu’elle veut et ce pan là de l’histoire ne me regarde pas. En revanche, je crois que j’ai une grande intolérance au radotage combiné à l’inaction combinée à la plainte constante. Alexia m’a parlé de cette incapacité à faire un choix pendant des mois. Je lui ai demandé de ne plus m’en parler, ou uniquement en cas d’évolution. Alexia a continué à radoter. J’ai fini par lui dire que je n’en pouvais plus, en le formulant comme une rupture, avec pour conclusion, c’est fini Alexia, notre amitié ne me convient plus. Alexia s’est énervée.
Elle m’a, comme Elsa quelques années plus tôt, renvoyé mes failles et mes vices d’amie en pleine face. Les critiques m’ont fait mal.
Tu n’as aucune empathie.
Tu te sers des gens.
Tu es froide. Etc.
Je ne voulais pas le savoir.
Ça m’a fait énormément de peine.
Alors est-ce pour cela que je ne veux pas de drame ? Parce que c’est trop douloureux de se prendre des horreurs non avisées en pleine face ? Le vomi de la rancoeur, des années de non-dits ?
Mais alors, quid de ces relations amicales auxquelles on souhaite mettre fin, sans qu’aucun drame ne puisse nous y aider ? Est-ce que ghoster demeure le seul choix possible pour rompre en douceur ?
J’ai été amie avec Marina pendant des années. Nous avons passé tellement de merveilleux moments ensemble, des soirées d’été éternelles à rebâtir le monde entre deux fous rires aux premiers émois des amourettes. Mais avec le temps, nos chemins se sont éloignés.
Il y a quelques années, Marina m’a recontactée et m’a proposé que l’on se revoie. J’ai accepté et Marina est venue passer quelques jours chez moi. Le séjour s’est bien déroulé, mais quelque chose, un petit rien, difficile à expliquer, m’a froissée. Marina avait changé. Elle arborait en permanence un air princier, ne parvenait à se motiver pour rien excepté la réalisation de ses propres envies. Je la trouvais un peu vaniteuse. Le contact n’a pas été rompu, bien que le lien qui nous unissait ait pris un coup : il s’était détendu, comme l’élastique fatigué qui marque la taille d’un vieux caleçon.
Deux ou trois ans plus tard, Marina m’a contactée à nouveau et j’ai accepté qu’elle revienne passer quelques jours chez moi : je pensais que la maturité de l’âge aurait atténué son tempérament de princesse. Que nenni ! Marina a été irrespectueuse sur toute la ligne : elle n’en a fait qu’à sa tête, n’a suivi que ses envies, s’est montrée extrêmement égoïste.
Si Marina voulait prendre un bain à 3 h du matin, ou annuler notre déj’ pour un rencard avec un mec local avec qui elle tchattait depuis une heure, elle n’hésitait pas. Marina m’a proposé une exposition : elle a choisi l’horaire qui m’arrangeait le moins, en connaissance de cause. Elle m’a beaucoup déçue.
Lorsqu’elle a claqué la porte, j’ai pensé “plus jamais, ciao !”. Le problème, c’est que le temps est passé, et que ma colère s’est estompée : le temps est semblable au bon vin, il ne laisse que le meilleur, les bons souvenirs, les conversations trépidantes. La lie et les sédiments coulent vers le fond de la bouteille, invisibles, imperceptibles, et on ne les sent plus lors des premières gorgées.
Un jour, Marina m’a appelée, j’ai répondu au téléphone, mais, si j’acceptais de converser avec elle, je gardais en mémoire les sales coups qu’elle m’avait fait et l’égoïsme incommensurable dont elle avait fait preuve. J’ai raccroché sans lui dire ce que je lui reprochais.
Elle a tenté de me joindre à nouveau, quelques mois plus tard, je n’avais pas envie de répondre. J’avais eu un déclic, notre amitié était consommée.
Marina a répété les assauts téléphoniques et les SMS. Je n’ai pas répondu. Je n’ai plus jamais répondu.
Un jour, j’ai rédigé un long message à destination de Marina, un message dans lequel je lui expliquais que ce qu’elle avait fait n’était pas correct.
Je me suis mise à sa place. Que ressent-on lorsque l’on se prend ses griefs en pleine face, un an après les faits ? Marina n’allait-elle pas mal le prendre ? Souffrir ? J’ai essayé de l’imaginer, recevant un missile, tombant des nues. Je ne l’ai pas envoyé : j’étais mal à l’aise à l’idée de faire du mal, pour quoi au juste ? Au nom de quoi ? À mes yeux, notre amitié n’existait plus. J’ai effacé le message. Je me suis promis de lui dire la vérité, si jamais Marina me la demande un jour.
Je ne voulais PAS lui faire de mal.
Ai-je maquillé ma lâcheté en bonté ?
La même histoire s’est produite avec Clara. J'appréciais beaucoup Clara, mais elle avait tendance à radoter et à se plaindre à chaque fois que nous nous voyions. Au bout d'un moment, j'ai réalisé que Clara me pompait mon énergie. Si, au début, j’écoutais ses malheurs, j’ai fini par lui donner quelques conseils afin que la situation évolue, après plusieurs mois à supporter la même litanie.
Mais Clara avait toujours une objection à formuler, un “non, mais c’est pas possible parce que…”. Au bout d’un moment, je me suis sentie loin de Clara, sa négativité me pesait. Je n’ai pas su comment lui dire sans la blesser. Alors je n'ai rien dit. Clara et moi nous nous sommes éloignées naturellement. Il n'y a pas eu de drame. Il n'y a pas eu de conversation fâcheuse.
J'ai entendu de nombreuses histoires de ghosting en amour. Je n'ai jamais compris. En effet, il me semble qu'il est plutôt facile de rompre en amour tant les relations et leur issue sont codifiées. En revanche, pourquoi ghoste-t-on en amitié ? Je me le suis demandé. En en parlant avec un ami, celui-ci m'a exposée une théorie intéressante. Il m'a dit : « en amour, on est obligés de rompre. Parce qu'on ne peut pas commencer une nouvelle relation si on a pas rompu une première. Or, en amitié, on peut avoir plusieurs amis à la fois donc pourquoi rompre explicitement au risque de faire du mal à l'autre ? ». Ainsi, cet ami pense qu'il n'est pas toujours nécessaire de mettre un point final à une amitié qui peut aussi parfois se déliter sans aller jusqu’à la rupture totale, et puis redémarrer, telle une vieille voiture dont le moteur renâcle et tousse après une courte panne. La théorie de mon ami est très intéressante.
Ce qui est le plus compliqué, et c'est ce que je lui ai expliqué, c'est que parfois, une des deux personnes souhaite rompre l'amitié et l'autre veut maintenir le lien et c'est dans ces cas-là que les complications se produisent.
Par exemple, que fait-on lorsqu'on a plus envie de voir une amie ou un ami et que cette personne nous sollicite sans arrêt ? Que lui répond-on ?
À mes yeux, c'est à ce moment-là qu'il faut savoir rompre l'amitié et qu'il faut définir une manière de faire. Celle qui ne nous coûte pas trop, mais qui permet quand même de faire preuve de respect.
Alors est-ce qu'on laisse pourrir la relation simplement en répondant de manière évasive ? Est-ce qu'on dit les choses franchement à la personne au risque de se prendre une volée de colère en pleine face ou de la blesser ?
J'ai fini par définir une manière de faire : je m’éloigne peu à peu. Si la personne veut savoir exactement ce que je lui reproche, je lui dis en toute diplomatie.
Je n'ai pas de recommandation de livre cette semaine. En revanche, Résilience est toujours disponible, et toujours aussi apprécié <3.
Prenez soin de vous ! Bisous.
...